Publié le 17 novembre 2010, dans Actualités, Marin immobile, Marine marchande, Reportages
Solidarité autour d’un marin oublié
Marin immobile
Seize mois seul à bord. Treize mois sans salaire à travailler pourtant quotidiennement sur un cargo qui ne repartira probablement jamais. C’est le drôle de destin de Claude Foko, un marin mécanicien de nationalité camerounaise, naïf mais soucieux de travailler. Des gens de mer de Brest (même) se sont heureusement mobilisés…
Sa prison n’a rien de doré. Elle date de 1964. C’est un bateau ou plus précisément un cargo au style un brin désuet avec un panneau de cale avant, pas bien grand de l’aveu de ceux qui fréquentent le port de commerce de Brest depuis trois ans.
En guise de panneau de cale arrière, il dispose d’un roof important surmonté d’un grand bossoir d’embarcation selon des passants avertis.
Il s’agit en fait d’un cargo de dimension modeste. Long de 48 mètres de long et large de 9,15 mètres, l’ex Nettelill et Svendborgsund – devenu Ebba Victor – a été construit en 1964 à Frederikshavns au Danemark.
Cargo sur la mer Baltique jusqu’en 1973, le navire à la coque immatriculée « IMO 6421921 » est devenu à compter de 1976 un navire école. La localité de Harnosand en Suède était son port d’attache jusqu’à son immobilisation forcée à Brest fin août 2007.
En route pour la Tunisie, le cargo fait alors escale dans le port phare de la pointe Bretagne afin de réparer une avarie sur son moteur. Après visite des autorités portuaires, un manque flagrant de sécurité est constaté. Décision administrative est prise d’immobiliser le cargo à quai.
Après deux années d’escale forcée, l’arrivée providentielle d’un mécanicien annonce une reprise en main du bateau par un nouveau propriétaire. Mission est ainsi confiée à Claude Foko, chef mécanicien camerounais, de convoyer Ebba Victor depuis Brest jusqu’à Douala au Cameroun.
Le propriétaire règle oralement les conditions de ce nouveau poste embarqué. A « Claude-le-marin », on assure que l’éloignement ne sera aucunement préjudiciable à sa famille et à sa femme, enceinte de jumeaux. Pas de contrat de travail mais seulement la parole d’un employeur qui inspire confiance.
« J’étais parti pour trois ou quatre mois maximum. Mon épouse attendait des jumeaux. J’étais encore confiant » confesse l’intéressé. Lorsque le mécano arrive sur le cargo abandonné à Brest, Claude Foko se retrouve seul à bord d’un navire en sale état. Personne ne rejoindra le mécanicien.
Un embarquement cauchemardesque
Claude s’échine malgré tout à remettre en état la machine, à installer des pièces d’occasion arrivant au compte-gouttes. Le mécanicien ne s’inquiète pas trop lorsque la paye du quatrième mois ne tombe pas.
Sa mission ne consiste-t-elle pas à remettre le navire en état pour un départ imminent à destination Cameroun ? Les mois défilent. Le propriétaire, un camerounais résidant en Allemagne, ne donne plus signe de vie à son employé naïf mais soucieux de gagner sa vie. Factures et salaires ne sont plus honorés. Coincé à bord de ce bateau poubelle, Claude Foko continue malgré tout de travailler et de vivre à bord.
L’été 2009 vire au cauchemar lorsque le marin oublié apprend par téléphone que son épouse vient de perdre ses bébés. « Je me suis aussitôt dit que c’était parce que je n’avais plus d’argent à envoyer là-bas ! ». Le chef mécano culpabilise. L’hiver suivant est difficile. Pas de chauffage à bord de ce navire usé. Un matin, une entrée d’eau au niveau de la salle des machines, manque de l’envoyer par le fond. Ebba Victor est sauvé de justesse. Son unique marin se retrouve en cale sèche pour réparer, puis revient sur le même quai.
Le mécano ne s’accorde aucun jour de congés puisqu’il assure aussi le gardiennage et la surveillance des amarres.
De son triste sort, Claude Foko ne s’est pourtant jamais plaint.
« Si des habitués du port ne s’étaient pas inquiétés de le voir sur le même rafiot depuis tout ce temps, il serait encore à marner en fond de cale » a écrit Stéphane Jézéquel, journaliste au quotidien Le Télégramme de Brest, dans un article consacré au marin sans salaire, malade et éloigné de sa famille et de son pays. A Brest, sur le « quai patates », la solidarité des gens de mer va être exemplaire.
Soucieux du sort de ce marin oublié, l’association Mor Glaz et la CGT des marins alertent la presse et les politiques. Les premières actions du collectif Mor Glaz portent leur fruit. L’envoi d’un mandat évite à la famille de Claude Foko restée sans ressources au Cameroun d’être expulsée de son logement.
Après une visite à bord en compagnie de Jean-Paul Hellequin, président de l’association Mor Glaz, l’artiste Râmine, basé à Brest, décide de mettre ses talents au service de cette noble cause. « Notre but c’est de faire en sorte que le marin et chef mécanicien Claude Foko puisse retourner chez lui. La solidarité des gens de mer permettra de l’acheminer jusqu’à son pays. Mor Glaz fait également pression pour que les arriérés de salaires soient payés par le propriétaire.
Aujourd’hui la seule solution est de menacer le propriétaire de la saisie de son bateau pour couvrir les frais portuaires les impayés de salaires et les dépenses engagées par Mor Glaz » explique l’artiste engagé avant de s’emporter à juste titre :
« Le propriétaire réside et agit depuis l’Allemagne. Dans de pareils cas, les règlements européens en matière de sécurité en mer sont très stricts mais les autorités portuaires et administratives ont très peu de moyens pour se retourner contre les armateurs et les propriétaires irrespectueux des réglementations sociales. Dans le cas de Claude Foko le minimum de respect vis à vis des droits les plus élémentaires de l’homme n’ont pas été respectés. Avant de faire une Europe commerciale il faut peut-être poser les bases d’une Europe judiciaire et sociale ».
A ces bonnes paroles, Râmine joint les actes en décidant de mettre aux enchères deux toiles spécialement réalisées pour soutenir cette cause.
Attentif aux actions de Mor Glaz et au sort « marin de l’immobile », Râmine a travaillé d’après croquis et photographies prises sur place pendant la visite du bateau. La presse est également alertée.
La solidarité joue dorénavant à plein.
Le patron d’un hôtel sur le port offre une chambre au marin solitaire. Un ophtalmologiste passant par hasard devant le cargo vient de le conduire à son cabinet pour soigner ses yeux fatigués. Claude Foko vient de recevoir des lunettes. Il a même eu le droit en prime à une consultation chez le cardiologue.
De son côté, l’association Mor Glaz a pris contact avec la compagnie Africa Express Line. Un de ses navires, qui assure la liaison Anvers-Douala, pourrait, effet au passage à Brest, prendre à son bord Claude Foko. « Dès qu’il a son argent dû, soit 8 000 €, il pourra renter chez lui. Depuis le passage à Brest du propriétaire du navire, l’administration française n’a rien obtenu de ce dernier. Je demande que le fonds de solidarité de l’Agism, à hauteur de 385 000 €, mis en place en 2000, soit débloqué rapidement », indique sobrement Jean-Paul Hellequin.
D’un point de vue administratif, Ebba Victor n’ayant ni pavillon (même de complaisance), ni société de classification, est étrangement considéré comme « un engin flottant et non un navire » ce qui complexifie toutes démarches.
Heureusement des bonnes nouvelles en provenance de Douala sont venues réchauffer les enthousiasmes. Des discussions sont en cours avec un grand groupe offshore français pour que Claude Foko retrouve un travail.
Autant de lueurs d’espoirs pour le marin immobile, pressé de retrouver les siens.
A Brest (même), les gens de mer mobilisés suivent de près cette affaire dont le dénouement est attendu d’ici la fin du mois.
Stéphane DUGAST
(D’après Râmine, Mor Glaz et Le Télégramme)
* : L’association Mor Glaz (mer bleue) est un collectif créé en 2000 suite à l’accident de l’Erika et au ras-le-bol de voir sans arrêt des navires polluer l’environnement maritime mettant en danger la nature, les hommes et l’économie. Ce Collectif à la particularité de réunir en son sein des citoyens de toutes origines, qu’elles soient politiques ou syndicales, des enseignants, des chercheurs, des écrivains, des scientifiques, des dirigeants d’entreprises et des marins.
DES TOILES POUR AIDER CLAUDE FOKO
Les deux peintures acryliques sur toile de lin réalisées par Râmine sont mises aux enchères. La première est mise à prix à partir de 500 €. Cette toile représente Claude FOKO devant Ebba Victor. La seconde est une petite toile 73×52 dont la mise a prix démarre à 200 €. Cette toile représente une tranche du cargo au niveau du château et la passerelle.
Pour enchérir, contactez :
Les autres articles du reportage
- Solidarité autour d’un marin oublié, 17 November 2010
Ping : Les tweets qui mentionnent Solidarité autour d’un marin oublié | Seableue -- Topsy.com